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Le « judo » est un patrimoine technique visant la défense de soi, mais nous le connaissons et le comprenons essentiellement à travers son expression sportive, et en compétition. Elle ne va pas de soi, et elle n’est jamais anodine. Comme le souligne certains chercheurs, le sport est une codification de situations motrices, sous forme de compétition. La règle, c’est le sport. Pour ce qui concerne le judo, la relation entre la discipline elle-même et son expression compétitive est longtemps restée ambigüe, et le reste peut-être encore. Petite synthèse des modifications des règles de la pratique sportive judo à travers le temps.

 

Dès l’origine, et c’est la dimension révolutionnaire du judo pour son époque, Jigoro Kano a un souci de règlementation de la discipline, visant une classification efficace, pertinente et exhaustive, la promotion d’un modèle d’entraînement dynamique, mais aussi la sécurité des pratiquants – ce qui sera une constante des « codificateurs » à travers le temps. Il aura toujours une relation tourmentée à l’expression « sportive » du judo, qu’il contribue pourtant à mettre en place immédiatement par des épreuves réglementées mensuelles, visant à compléter, par un exercice de pleine opposition, l’entraînement quotidien au randori. Il valorise aussi les confrontations par équipes, valorisant l’esprit de combat individuel au service du collectif, qui seront toujours un socle fort de la compétition au Japon.

En même temps, et dès le début, il déplore que les judokas concernés cherchent trop à défendre un résultat au détriment de l’expression des techniques – un enjeu fondamental qui continue à traverser le débat sur les « règles » et leurs conséquences. La compétition sportive et ses règlements successifs ont vraiment pris leur essor à partir de la création de championnats continentaux (les championnats d’Europe débutent en 1951) et des premiers championnats du monde, en 1956. Un pas supplémentaire est franchi par l’entrée du judo dans la grande aventure de l’olympisme en 1964.

Supprimer des techniques

De l’art « mortel » des origines, il a fallu faire en sorte que le judo puisse être pratiqué par le plus grand nombre. Cela s’est très tôt accompagné dans les règlements d’une prohibition de certains gestes, en vertu de l’enjeu primordial de sécurité. On découvre dans les règles de la fin du XIXe siècle l’interdiction des atémis, mais aussi des clés de doigt, de poignet, de genou, de cou et de dos, trop dangereuses. En 1924, on interdit l’exécution de la projection en daki-age, qui consiste à soulever l’adversaire du sol pour l’y projeter à nouveau (mais la technique est toujours considérée comme victorieuse si l’adversaire est soulevé assez haut, un « ippon » qui ne sera supprimé qu’en 1981). En 1926, toute clé de bras, hormis celle du coude, est prohibée. On interdit la projection en kawazu-gake, la « liane » sur la jambe, une interdiction qui sera oubliée, réaffirmée, modulée jusqu’à ces années dernières. 

En 1978, uchi-mata exécuté en plongeant la tête la première dans l’axe de la colonne en s’enroulant est disqualifiant. Cette protection des athlètes est élargie par la sanction, depuis 2022, de tout contact avec la tête au sol dans une tentative de projection. L’interdiction des appuis défensifs « en pont » est aussi durcie. En 1984, kani-basami, la « pince de crabe », une technique populaire à l’époque, est progressivement interdite de l’ensemble des tapis, pour le nombre d’accidents dont elle est responsable. À une époque plus récente, la sécurité n’est plus la seule motivation de ces interdictions. La volonté de « clarifier », de « simplifier » la discipline pour la rendre intelligible au grand public et plus spectaculaire est invoquée, notamment dans un changement majeur du tournant de l’olympiade 2008-2012 : l’interdiction d’abord partielle, puis radicale et lourdement sanctionnée par une disqualification directe, de toute contact de la main aux jambes en combat debout. La pénalisation de cette interdiction n’est désormais plus pénalisée que d’un shido. Dans le même ordre d’idée, la suppression à partir de 2017 de toute technique de clé et d’étranglement portée en position debout, puis de toute amenée au sol par extension du coude.

Définir les scores et les pénalités

À l’origine, il s’agit de vérifier si, dans une perspective de nette opposition, tel ou tel judoka est capable de placer une technique réussie du début à la fin. Dans ce cas, on détermine qu’il y a « point », qui se dit « ippon » en japonais. Dans les premiers temps du Kodokan de Kano, dans les premières formes de compétition, on demande deux « ippons » pour finir le combat, ce qui est rapidement ramené à un. Le principe de la victoire en compétition de judo est fixé à ce moment-là : juger autant que possible le vainqueur sur celui qui marque le point (le ippon), c’est-à-dire qui démontre sa capacité à exécuter, malgré l’opposition de l’adversaire, un geste de judo – projection ou domination au sol – parfaitement réussi. Dans les années 1950, on ajoute le « waza-ari » (« il y a technique »), qui permet de comptabiliser le geste presque réussi, auquel il manque donc un seul élément définissant le ippon. Une décennie plus tard, quatre niveaux de sanctions sont identifiés : « shido », « chui », « keikoku », « hansokumake », le dernier étant la disqualification.

En 1973, deux niveaux de valeur moindre sont ajoutés au ippon et waza-ari, il s’agit du « yuko » et du « koka », qui permettent de comptabiliser des actions imparfaites, mais effectives, lesquelles peuvent départager plus justement les adversaires que la décision des arbitres. Elles offrent aussi la compréhension du but recherché : celui du geste le plus réussi sur une échelle de valeurs qui va du koka au ippon. Selon les époques, les pénalités ont parfois été alignées sur l’échelle de valeurs, le shido « valant » au score un koka, le chui un yuko, le keikoku un waza-ari et le hansokumake un ippon. En septembre 2008, le koka est supprimé. Après les Jeux de 2016, la FIJ opère un changement radical. Le yuko se fond dans le waza-ari, qui devient la technique de tous les avantages obtenus, du plus léger au plus net, le ippon mis à part. Le principe de la pénalité évolue : à chaque combat, les combattants peuvent en subir trois, toutes appelées « shido » désormais, pour tout manquement. Les deux premières sont « gratuites », la troisième est disqualifiante pour ce combat.

Définir le cadre : espace, temps… et adversaire

Le cadre n’est jamais anodin et chaque décision modifie de façon souvent déterminante la discipline. Elle n’est jamais facile, et rarement stable, comme le montre les fréquentes modifications concernant la sortie de tapis pendant l’action de combat, simplement réglée dans les temps pionniers par le fait que la surface de combat était… sur une estrade. Par la suite, on a préféré une délimitation plus symbolique – une ligne rouge de sept centimètres d’épaisseur en 1969 – mais plus difficile à faire respecter aux combattants. Aujourd’hui, la sortie de tapis non provoquée est pénalisée d’un shido, mais la poussée de l’adversaire vers l’extérieur également. Le jugement est parfois difficile à rendre. La notion de temps est toujours un enjeu fondamental. En décidant en 1925 de limiter le temps de combat au sol sans progression évidente, Jigoro Kano lui-même a provoqué un schisme dans les instances de l’époque qui a abouti à la naissance du « kosen-judo », qui se définit justement par le fait que l’arbitre n’interrompt pas, ou peu, les phase de combat au sol. Le temps de combat est aussi un enjeu de rythme, la tendance ayant été globalement à l’accélération. Des combats d’une demi-heure avec prolongation possible des premières compétitions, il diminue progressivement au fil des décennies. En 1970, la finale des championnats du monde est encore de quinze minutes. On passera ensuite à un temps de combat de six minutes en 1974, huit en demi-finales, dix en finale, avec deux prolongations de dix minutes possibles. Enfin, la longueur du combat sera longtemps stable à cinq minutes – quatre minutes pour les féminines qui passeront elles aussi à cinq minutes – avant d’être réduite pour tout le monde en 2017 à quatre minutes, mais avec la possibilité d’un « golden score » sans limitation de temps qui prolonge parfois les confrontations à plus de quinze minutes !

De toutes les décisions concernant le cadre du combat, c’est celle concernant les catégories de poids qui a le plus marqué les esprits, bien que la première répartition date de 1961 (-68 kg, -80 kg, +80 kg), car elle semblait invalider le concept même du judo, incarné dans les grandes compétitions sans catégorie de poids et condensé dans l’expression du « petit qui peut battre le grand ». Elle a néanmoins permis à tous les types physiques de s’épanouir dans la discipline, avec de nouvelles modifications en 1965 avec cinq catégories (-63 kg, -70 kg, -80 kg, -93 kg et +93 kg). Les féminines sont réparties en 1974 en sept catégories (-48 kg, -52 kg, -56 kg, -61 kg, -66 kg, -72 kg, +72 kg), les hommes rejoignant cette segmentation en sept en 1977 (-60 kg, -65 kg, -71 kg, -78 kg, -86 kg, -95 kg et +95 kg). Les sept catégories sont modifiées en 1997, pour les femmes, -48 kg, -52 kg, -57 kg, -63 kg, -70 kg, -78 kg, +78 kg, et pour les hommes -60 kg, -66 kg, -73 kg, -81 kg, -90 kg, -100 kg et +100 kg. Nos catégories actuelles. Enfin parfois certaines modifications historiques ne sont pas liées au tapis et au combat… mais ont néanmoins une influence tout à fait considérable. C’est le cas par exemple de la fin du modèle, pérenne depuis les années 1960, de l’arbitre central et de ses deux assesseurs, remplacé en 2013 par l’arrivée du juge vidéo.