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Comment le judo français est-il passé de quelques dizaines de curieux au demi-million de pratiquants en l’espace de soixante ans ?

Si les raisons sont multifactorielles, l’élan est quoi qu’il en soit irrésistible depuis que Mikinosuke Kawaishi est descendu du train Gare du Nord, en provenance de l’Angleterre, le 1er octobre 1935. Dans le sillage de sa méthode, occidentalisée pour mieux convenir aux Européens avec une classification numérotée des techniques pour plus de facilité d’apprentissage et l’intégration de l’idée des ceintures de couleurs, venue d’Angleterre, pour clarifier la montée en compétences nécessaire, encourager à la progression, jusqu’à l’obtention de la ceinture noire. Ses premiers élèves vont constituer le socle solide de la diffusion réussie de l’activité. La seconde Guerre Mondiale ne saura que la freiner – le sport devenant l’un des rares espaces de liberté sous Vichy, avant un premier boom consécutif à la fin du conflit planétaire qui aboutit à la prise d’indépendance de la section judo-jiu-jitsu de la fédération française de lutte pour devenir, le 5 décembre 1946, la fédération française de judo-jiu-jitsu (FFJJJ). Paul Bonét-Maury, ceinture noire n°2 dans la liste du futur Collège des Ceintures Noires, en devient le premier président.

Les 30 Glorieuses, période propice

Sous sa houlette, la formation des professeurs fait partie des chantiers prioritaires, afin d’assurer une pratique sûre et encadrée à ceux qui viennent massivement grossir les rangs de la jeune fédération, qui compte 5700 licenciés en fin d’année 1947. C’est Paris et l’Île-de-France qui concentrent alors les trois quarts des pratiquants, même si quelques bastions régionaux commencent à s’imposer du côté de Marseille, Bordeaux, Antibes et Toulouse.

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C’est aussi la période des premiers stages estivaux d’été, dont celui animé par Jean de Herdt dans le Var en juillet 1947, exemple parmi tant d’autres de ce que les Trente Glorieuses (1945-1975) vont faire évoluer dans la société française dans l’après-guerre. Face à la réduction du temps de travail, les loisirs ont en effet le vent en poupe, avec des équipements sportifs qui se multiplient à travers le pays pour accueillir une jeunesse plus soucieuse de sa santé physique.

Les champions sur le devant de la scène

Si les premiers championnats du monde ne sont organisés qu’en 1956 à Tokyo – avec du bronze pour le Français Henri Courtine – la compétition est déjà bien installée dans le paysage hexagonal. Les premiers championnats de France remontent en effet au 30 mai 1943, organisés dans la salle Wagram à Paris devant plusieurs milliers de spectateurs. Les rencontres internationales – essentiellement face à l’Angleterre jusqu’au début des années 1950 sous forme de tournois par équipes – préfigurent les premiers championnats d’Europe, qui se tiennent les 5 et 6 décembre 1951 au Vélodrome d’Hiver de Paris. Des grands galas sont organisés dans la foulée pour entretenir la dynamique. Pionnière de l’organisation, la France brille également sur les tatamis, empochant dix-huit des vingt-six premiers titres continentaux décernés entre 1951 et 1955. Pas de médaille en revanche pour le clan tricolore lors des troisièmes championnats du monde, organisés à Paris en 1961 (pour la première fois hors du Japon), qui voient toutefois tous les grands médias nationaux s’intéresser au judo et relayer l’événement à la télévision avec le journaliste vedette Léon Zitrone aux commentaires et dans les journaux.

Un avant-goût de la popularisation accrue autour du tournoi de Paris qui voit le jour en 1971 dans le mythique stade Coubertin, et des premiers grands champions que va compter le judo français, à l’instar de ses trois médaillés de bronze olympiques de Munich en 1972, Jean-Jacques Mounier, Jean-Paul Coche et Jean-Claude Brondani, ou de son premier champion du monde Jean-Luc Rougé, sacré en 1975.

Les dojos s’ouvrent à la jeunesse

Tandis que le judo a fait ses premiers pas remarqués dans le programme des Jeux olympiques de Tokyo en 1964 (absent en 1968, il sera de retour en 1972), et que l’équipe de France découvre de l’intérieur le judo japonais avec un premier stage aux allures de rite initiatique en 1966, le maillage territorial est désormais bien en place, avec vingt-deux ligues qui déclinent le projet fédéral à cette époque

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Pour les aider, la FFJDA publie sa progression française d’enseignement de judo, fixant les dimensions sportive et éducative de son art martial, et se dote d’une école des cadres en 1967. Une pédagogie née d’un travail collectif de vingt-cinq professeurs diplômés d’État qui accélère l’abaissement de la moyenne d’âge des pratiquants :

33% des licenciés de 1958 (11 000 sur 30 000) avaient moins de dix-huit ans

75% des licenciés de 1969 (118 000 sur 157 000) avaient moins de dix-huit ans

Vingt ans plus tard, la méthode française proposée par Didier Janicot et son équipe poussera cette ambition d’offrir le cadre le plus propice à l’épanouissement des plus jeunes sur les tatamis encore un peu plus loin.

Un code moral pour l’éternité

Parmi les grandes réussites du judo français, le code moral imaginé par Bernard Midan en 1985 (sous l’inspiration d’un livre écrit par le Japonais Inazo Nitobe : « Bushido, l’âme du Japon ») pour graver dans le marbre les valeurs induites par la pratique, dont tout judoka qui se respecte doit s’inspirer, reste sûrement aujourd’hui l’une des traces indélébiles que provoque la pratique du judo chez tous ceux qui ont enfilé un jour un judogi.

Politesse

C’est le respect d’autrui

Courage

C’est faire ce qui est juste

Sincérité

C’est s’exprimer sans déguiser sa pensée

Honneur

 C’est être fidèle à la parole donnée

Modestie

C’est parler de soi-même sans orgueil

Respect

Sans respect, aucune confiance ne peut naître

Contrôle de soi

C’est savoir se taire lorsque monte la colère

Amitié

C’est le plus sur des sentiments humains

 

Ces huit valeurs infusent depuis bientôt quarante ans des générations de judokas, privilégiés – parfois sans le savoir – d’être nourris à longueur d’entraînements par cette vision du monde positive et saine qui en font des citoyens éclairés. De l’extérieur, c’est aussi ce code moral qui contribue largement à l’image positive dont bénéficie le judo depuis ses débuts en France.