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Pour bien comprendre l’origine des jujutsu, donc du judo, il faut faire un peu d’histoire. 

 

Une nouvelle caste guerrière

À la naissance de Jigoro Kano, le fondateur du judo, la société japonaise est en profond changement. Le pays sort d’une période de mille ans troublée par les révoltes et les rébellions successives, qui ont abouti à l’émergence d’une nouvelle classe sociale, celle des combattants professionnels. Des simples « servants » (sens étymologique du mot « samouraï ») aux « bushis », des guerriers plus prestigieux, ces combattants s’organisent en clans. À la fin du XIIe siècle, le plus puissant d’entre eux, celui des Tanimoto, confisque le pouvoir à la noblesse traditionnelle et à sa plus haute figure, l’empereur, pour établir la dictature militaire du « Shogun » (général), abréviation de seii-taishōgun (grand général pacificateur des barbares), poste qui appartient au plus puissant des chefs de clan. Cette longue domination ne prit fin qu’en 1867, avec la restauration de l’ère Meiji, le retour de l’empereur au premier plan politique, lié à l’effondrement du Shogunat devant l’arrivée des navires américains en 1854 et l’ouverture forcée du Japon au commerce international.

 

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Un bushi en armure (1880)- © Université de Nagasaki

 

Des origines incertaines

On évoque régulièrement deux origines historiques à ce patrimoine, lesquelles évoquent une influence du grand frère culturel chinois. Dans la première, un certain Chin Genpin, membre d’une ambassade à Tokyo, qui aurait enseigné à trois « ronins » Fukuno Hichiroemon, Isogai Jiozaemon et Miura Yojiemon, des éléments d’un système de combat, ces derniers fondant ensuite chacun une école de jujutsu. Historiquement, on considère que son enseignement éventuel était un kenpo chinois, des frappes mêlées à des éléments de saisie.

L’autre histoire fondatrice est celle d’un médecin de Nagasaki, Akiyama Shirobei, revenu de Chine avec des techniques de réanimation et de combat. Insatisfait, il se retira pendant cent jours au temple Tenshin à Tsukushi pour y méditer. Un matin d’hiver, contemplant la campagne recouverte de la neige tombée de la nuit, il fut frappé de voir la branche maîtresse d’un pin, cassée sous le poids de la neige. Se tournant vers le saule, il vit alors une branche souple, qui pliait sous la neige qui la recouvrait, se redresser vivement dans un nuage poudreux. Ce fut l’illumination. Comprenant le principe profond qui lui échappait – et qui n’est autre que « Ju », dont nous découvrons à travers ce récit une évocation imagée et métaphorique – il compléta son système de combat fondant la Yoshin-ryu, l’école du saule, considérée comme l’une des écoles les plus importantes de la période Edo. L’école existe toujours. Elle est à l’origine de la Tenjin shinyo-ryu à laquelle Jigoro Kano fut initié. Le créateur du judo a souvent débattu des origines chinoises supposées du jujutsu en les contestant. De son point de vue, le patrimoine de ces écoles est une création de l’esprit et de l’expérience japonaise.

Saigō Takamori, un des trois hommes ayant joué un rôle décisif dans la restauration de l’ère Meiji entouré de ses officiers, en tenue de samouraï, lors de la rébellion de Satsuma en 1877.

 

Deux-cents écoles de jujutsu

Si l’art chinois du combat à mains nues s’expriment surtout à travers les techniques de percussion, le Japon s’oriente dès ses origines vers un art subtil des saisies, comme semble le montrer un épisode du « Kojiki », Le Recueil des Choses Anciennes, le plus ancien livre préservé de l’histoire japonaise (712 après J.-C.), qui raconte un combat à mains nues entre deux divinités, où Takeminakata l’emporte à la fin par une clé de bras suivie d’une projection.
De siècle en siècle, les guerriers développent leurs techniques de combat à partir des armes de bataille : l’arc, la lance et le sabre principalement. Mais on peut aussi se retrouver les mains vides dans la mêlée, ou simplement armé du sabre court. Comment maîtriser cette situation, sans doute fréquemment rencontrée ? Chaque clan avait ses secrets dans l’art de saisir et de blesser, « kumiuchi » en japonais.

C’est au XVIᵉ siècle, en 1532 exactement, qu’un certain… Take-no-uchi Nakatsukasa-no-taifu Hisamori, fonde la Takenouchi-ryu, la première école qui cherche à les regrouper. Quelques décennies plus tard, alors que la paix des Tokugawa s’impose au Japon, les écoles se développent de façon foisonnante, offrant leurs singularités à des experts du duel ou aux gardes, une technique individuelle de plus en plus pertinente et sophistiquée. Il y a alors des centaines d’écoles de sabre, de lance, mais aussi pas loin de deux-cents écoles de « jujutsu ». « Ju-jutsu » ? C’est la dénomination généralement utilisée pour désigner ce travail spécifique qui consiste à saisir, tordre, esquiver, projeter pour mieux contrôler l’ennemi.

Miyamoto Musahi, le philosophe samouraï.

Miyamoto Musashi (1584-1645) était un célèbre samouraï et épéiste japonais, reconnu pour ses compétences exceptionnelles en duel et sa philosophie des arts martiaux. Né dans la province de Harima, il a mené une vie itinérante dès son jeune âge, participant à de nombreux duels qu’il a tous remportés, y compris le célèbre combat contre Sasaki Kojirō en 1612.

Musashi est un dueliste invaincu, il a gagné une cinquantaine de duels, devenant une légende vivante. C’est aussi un auteur et un artiste très reconnu pour ses oeuvres. Il prônait le concept de « mushin » (esprit vide), un état de conscience permettant une action spontanée et efficace. Sa philosophie, axée sur la discipline, la persévérance et l’adaptation, continue d’influencer divers domaines au-delà des arts martiaux.

 

Figure emblématique du Japon, Miyamoto Musashi incarne l’esprit du samouraï à travers ses exploits martiaux, ses écrits philosophiques et ses œuvres artistiques.

 

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Le concept du "ju", ou la souplesse

Que le faible l’emporte sur le fort, le souple sur le rigide, tout le monde le sait, mais personne ne peut l’appliquer.

Tao-Tö-King

« Que le faible l’emporte sur le fort, le souple sur le rigide, tout le monde le sait, mais personne ne peut l’appliquer », affirme le Tao-Tö-King : classique de la pensée chinoise écrit cinq cents ans avant notre ère. Ce mot, et le concept qu’il décrit, traverse la culture chinoise et se développe dans la pensée et la pratique martiale japonaise. L’idéogramme évoque la notion de souplesse, celui du bois dont on peut faire une lance, qui plie à l’impact, mais reprend sa forme initiale. Dans « Ju », il y a l’esquive rotative, l’art de céder sans rompre à la force adverse pour mieux l’absorber.

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Le « Ju » de judo est traduit souvent par « souplesse », mais il ne s’agit pas de la souplesse du corps, mais d’une façon de plier sans rompre, d’absorber l’impact pour mieux s’adapter au mouvement initié par l’opposant. C’est l’art de reprendre l’initiative pour utiliser l’élan adverse contre lui, grâce aux techniques du patrimoine du jujutsu. 

C’est sur ce même concept que Jigoro Kano va développer sa méthode en 1882. Grand amateur de jujutsu, il regrette cependant le manque de démarche pédagogique qui entoure l’apprentissage des différentes techniques d’une discipline trop codifiée et décide par conséquent de créer une école destinée à enseigner l’apprentissage du jujutsu à l’aide d’une méthode d’enseignement nouvelle et une pratique plus libre. C’est la naissance du judo, ou « la voie de la souplesse ».

 

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Jigoro Kano en démonstration

« Supposons un adversaire doté d’une force 10. Admettons que moi, qui ne possède qu’une force 7, je lui fasse face. Quand cette personne à la force 10 se précipite sur moi en déployant toute sa puissance, même en utilisant entièrement ma puissance de 7, comme il s’agit d’un rapport de 10 contre 7, le 7 perd. Qu’il nous repousse ou nous fasse tomber en nous poussant, il est évident que celui qui possède 10 gagne.

Mais si, au moment où l’homme à la force 10 se précipite, le force 7, sans s’opposer, s’adapte à la poussée en retirant son corps. Alors, le force 10, comme rien ne s’oppose à son élan, trébuche vers l’avant. À ce moment, celui qui à l’origine possédait une force de 10, ne bénéficie plus que d’une force insignifiante d’environ 3. Sa position ainsi détruite, il perd l’équilibre. L’homme à la force 7, ayant volontairement retiré son corps, n’a été ni poussé ni déstabilisé, et a conservé son attitude initiale et bénéficie toujours de tout son potentiel. S’il utilise simplement la moitié de sa force, soit 3,5, il doit encore pouvoir l’emporter contre une force réduite à 3. Retirer mon corps en m’adaptant à la force, plutôt qu’en m’y opposant lorsque l’autre vient me frapper ou le pousser, l’affaiblit. »

 

Explication de Jigoro Kano, créateur du judo