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Un pionnier nommé Régnier

Après un premier voyage de Jigoro Kano en Europe en 1889, c’est la Grande-Bretagne qui accueille les premiers professeurs de jujitsu. Parmi les élèves figurent deux Français, Jean-Joseph Renaud et Ernest Régnier, dit « Ré-Nié ». C’est ce dernier qui sera le premier à ouvrir une salle à Paris.

Le professeur Ré-Nié forme les inspecteurs de police parisiens, à la demande du
préfet de police, Mr Lépine, dans les salons de la Préfecture de Police. (Vers 1905)

Nous sommes en 1904 et l’enseignement du jujitsu débute en France. C’est alors le temps des défis contre des lutteurs, des boxeurs, et c’est précisément là que Ré-Nié écrit sa légende : en costume et chapeau, il est opposé à Georges Dubois, un maître d’armes et champion de savate, devant cinq cents personnes réunies sur le toit d’une usine autour d’un ring créé pour la circonstance… Ré-nié sort vainqueur de ce combat en moins de trente secondes, sur juji-gatame. Le jujitsu impressionne et se retrouve en pleine lumière. Mais le soufflé retombe lorsque Ré-Nié est battu à son tour, par deux fois.

Il faudra attendre près de vingt ans pour voir en France l’impact de Keikishi Ishiguro, 5e dan du Kodokan venu rejoindre son compatriote Hikoichi Aida, lequel enseigne le jujitsu au Sporting Club à Paris, pour que le jujitsu fasse à nouveau parler de lui. Pas à proprement parler dans ce club, qui compte notamment des étudiants et des policiers, mais grâce à une démonstration à l’Opéra de Paris avec le célèbre peintre Fujita, formé au judo au Japon durant ses études, lors d’un gala qui restera dans les annales. Le Tout-Paris y assiste, artistes, scientifiques et politiques en tête. Nous sommes en 1924 et la discipline trouve ainsi un nouvel éclairage dans les médias, qui identifient désormais le judo-jujitsu non plus comme un système de défense mais aussi comme une méthode d’éducation.

Kano-Feldenkrais, la rencontre décisive

Le 26 septembre 1933, Jigoro Kano tient une conférence à l’école des arts et métiers à Paris. Dans la salle, un certain Moshe Feldenkrais, qui a étudié le jujutsu en Israël durant plusieurs années, vient présenter le manuel qu’il a écrit à Jigoro Kano, lequel l’invite à le suivre à son hôtel et lui formule des remarques sur son ouvrage. Les deux hommes se rencontreront une nouvelle fois en 1934, à nouveau en France. Kano voit en Feldenkrais un scientifique brillant qui fait ses études à La Sorbonne, l’homme providentiel pour le développement du judo en France. Il lui remet des films de Mifune, Nagoaka… Quelques mois plus tard, en septembre 1936, Moshe Feldenkrais crée le Jiu-Jitsu Club de France qui va bientôt accueillir l’élite parisienne. Jigoro Kano accepte d’en être le président d’honneur tandis que des scientifiques soutiennent ce projet, à commencer par le Prix Nobel de chimie 1935 Frédéric Joliot-Curie qui supervise la thèse de Feldenkrais.

 

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Jigoro Kano et Moshe Feldenkrais
 

1935-1960, la période des grands maitres

En 1935, quelques pratiquants de jujitsu font venir le Japonais Mikinosuke Kawaishi de Grande-Bretagne à Paris. Il va créer le club Franco-Japonais et aura, comme premier élève, Maurice Cottreau, boulanger de profession, lequel deviendra le premier Français ceinture noire en 1939*.

La concurrence existe évidemment entre les deux clubs. Mais, convaincu par Moshe Feldenkrais, Mikinosuke Kawaishi se rend au Jiu-Jitsu Club de France. Les deux clubs fusionnent et Kawaishi prend la direction de l’ensemble. Le technicien japonais va y développer sa propre méthode, avec 147 techniques répertoriées dans une codification différente du Gokyo, avec des numéros pour remplacer les noms japonais trop exotiques, consignées dans son ouvrage Ma méthode de judo. À cette nomenclature nouvelle et « européanisée » vient s’ajouter l’idée des ceintures de couleur pour marquer une échelle de grades plus précise avant la ceinture noire, qui sera sans doute l’une des recettes du succès du judo français.

Jusqu’aux années 1960, les experts japonais qui se relaient ont tous un point commun : ce sont des « maîtres ». Leur savoir est certes technique, leur efficacité combative hautement reconnue, mais ce sont avant tout des modèles. Le judo français est alors moralement dépendant du judo japonais. Certaines voies s’élèvent. Jean de Herdt, le ceinture noire n°1 bis, s’écrie : « Les Japonais, à la mer ! » Malgré cela, la maîtrise de Minoru Mochizuki, de Shozo Awazu, d’Haku Michigami ou encore d’Ichiro Abe forcent l’admiration de tous, d’autant plus que leur enseignement s’inscrit dans la durée.

 

La naissance d’une ambition sur le plan sportif

À partir des années 1960, l’orientation sportive induit de profonds changements. Jadis disciple, le judoka devient sportif, désormais à la recherche d’un entraîneur ou d’un partenaire d’entraînement. La préparation aux Jeux Olympiques de Tokyo (1964) fournit une première occasion. Les experts japonais en visite sont en effet des champions encore actifs sur le tapis, invités dans le cadre de la politique sportive de la fédération française menée par Claude Collard, Georges Pfeifer et Henri Courtine, également à l’origine des trois premiers stages de l’équipe de France au Japon en 1966, 1968 et 1970. Leur présence a pour objectif principal d’élever le niveau sportif.

Dans les années 1970, à l’initiative de la fédération, de nouveaux jeunes experts posent leurs valises un peu partout dans le pays. Hiroshi Katanishi, à la tête de nombreux stages aujourd’hui, et Kiyoshi Murakami, par exemple, partenaires de l’équipe de France – Murakami entraînera différents collectifs nationaux pendant vingt ans, avant d’animer pendant des années le judo français et européen. Cette génération représente un point de basculement. L’empreinte des experts japonais sera désormais moindre et différente.

* Le 20 avril 1939, Maurice Cottreau bat cinq adversaires en ligne dont Paul-Bonet Maury, soutien de Feldenkrais et futur président de la FFJudo. Il se voit ainsi décerner la ceinture noire, quelques mois avant celle décernée au futur champion Jean de Herdt, longtemps considéré comme la ceinture noire « numéro un bis ». Cette même année, Moshe Feldenkrais sera aussi promu ceinture noire, mais son nom ne figure pas sur la liste du Collège des Ceintures Noires, où sont alors seulement consignés les noms de ceux formés en intégralité par Mikinosuke Kawaishi.

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